La production de l'idéologie dominante

Abstract
Cet article comprend un ensemble de documents et analyses qui sous des perspectives différentes, traitent un même objet : la philosophie sociale aujourd'hui dominante dans le champ du pouvoir. Cette nouvelle "idéologie dominante" est saisie en même temps en tant que produit et en tant que mode de production. 1) L'encyclopédie des idées reçues On trouve présentés ici, sous la forme d'une encyclopédie ou d'un dictionnaire, les lieux communs en usage dans les lieux du pouvoir : chaque entrée correspondant à l'un des mots clefs de cette idéologie, comporte une ou plusieurs citations empruntées à l'un ou l'autre des ouvrages, individuels ou collectifs, analysés. (Le corpus des ouvrages utilisés a été consti tué selon une procédure tenant compte à la fois de l'appartenance des auteurs à certaines instances officielles et de la fréquence des intercitations). 2) La science royale et le fatalisme du probable L'analyse de ces textes permet de dégager les principaux schèmes partir desquels s'engendre le discours dominant : opposition entre le "passé" et l' "avenir", le "bloqué" et l' "ouvert", le "petit" et le "grand", l' "immobile" et le "mobile", la "stagnation" et la "croissance", etc. Chacune de ces oppositions fondamentales évoque, plus ou moins directement, toutes les autres et le schème evolutionniste qu'elles expriment peut s'appliquer à tout, depuis la reconversion des viticulteurs du midi à la recherche en sciences sociales. Mais effet le plus directement politique de opposition cardinale se révèle lorsque, appliquant à l'opposition entre la droite et la gauche le nouveau système de classification, on tient que cette opposition fondamentale de l'espace politique est "dépassée" : selon ce mode de pensée le "socialisme" ou le "syndicalisme" sont du côté de l' "immobile" et du "bloqué". Ce sont des "archaïsme" ; ils appartiennent au "passé" tout comme, symétriquement, le "fascisme" et le "parlementarisme". L'evolutionnisme optimiste du conservatisme reconverti (dont on trouve également des variantes universitaires) est le produit du même schème que le pessimisme du conservatisme déclaré dont il inverse seulement la hiérarchie. Contre la philosophie pessimiste des fractions déclinantes de la bourgeoisie, la nouvelle philosophie sociale affirme sa foi dans l'avenir et d'abord dans l'avenir de la science et de la technique. Elle sacrifie les vieilles idéologies fixistes à l'idéologie ouverte qui convient à un univers social en expansion. Combinaison en apparence contradictoire, le conservatisme progressiste est le fait d'une fraction de la classe dominante qui se donne pour loi objective ce qui constitue la loi objective de sa perpétuation, à savoir de changer pour conserver. Le conservatisme reconverti se sépare du conservatisme ancien en ce qu'il veut l'inévitable ; l'inévitable, c' est d'une part ce qui, dans les avenirs objectivement inscrits dans les structures, correspond aux intérêts de la classe dominante et que l'on contribue à faire advenir en le présentant comme inévitable et, d'autre part, ce qu'il faut lâcher en tout cas pour éviter ce qui doit être à tout prix évité, la subversion de ordre établi dont la possibilité est aussi inscrite dans les lois de l'évolution historique. La nouvelle fraction dirigeante est instruite et avant tout de son histoire : elle invoque les précédents historiques et les leçons du passé, non comme instruments de légitimation, mais pour éviter les erreurs anciennes. L'histoire des régimes fonctionne comme méthode de perception et d'action politiques. C'est ainsi qu'un schème purement rhétorique comme celui qui consiste, selon l'enseignement explicite de "sciences po", à opposer deux positions extrêmes (dirigisme et libéralisme, parlementarisme et fascisme, etc.) pour les dépasser en "élevant le débat" fonctionne comme une matrice de discours et d'actions universellement conformes parce il reproduit la double exclusion de arrière-garde conservatrice et de avant-garde progressiste qui définit synchroniquement le conservatisme éclairé. La rhétorique enferme une politique parce qu'elle enferme une histoire. Mais la plus importante leçon de histoire est la découverte que l'on ne peut plus rien attendre de l'histoire : l'univers des régimes politiques (modes de domination possibles) est fini. Le fatalisme qu'enferme l'idéologie de la fin des idéologies est la condition cachée d'un usage scientiste de la prévision statistique et de l'analyse économique. Ni science ni phantasme le discours dominant est une politique, c'est-à-dire un discours puissant, non pas vrai, mais capable de se rendre vrai : il ne suffit pas de parle"d'idéologie dominante" pour échapper à l'idéalisme ; l'analyse doit suivre les métamorphoses qui transforment le discours dominant en mécanisme agissant. Le discours dominant est que l'accompagnement une politique, prophétie qui contribue sa propre réalisation parce que ceux qui la produisent ont intérêt à sa vérité et qu'ils ont les moyens de la rendre vraie.

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