Abstract
Tout archéologue menant une prospection est confronté au grave problème de l'interprétation des résultats. Etant donné le petit nombre d'informations recueillies, aussi bien faite soit la prospection, quelle signification au plan économique, politique, socio-culturel peut-on accorder à l'ensemble des données ? Quel tableau peut-on dresser des forces qui ont commandé le développement d'une région et, à l'inverse, comment des hypothèses établies sur les aspects anthropologiques des dynamiques régionales anciennes peuvent-elles être objectivement testées ? En fait, dans quelle mesure les résultats d'une prospection peuvent-ils été comparés à ceux portant sur d'autres périodes ou d'autres régions ? Cet article expose la proposition suivante : la théorie mathématique des graphes constitue un outil à ajouter à la panoplie dont disposent les archéologues. En dépit de son nom, la théorie des graphes n'est pas une théorie au sens habituel que donnent à ce mot les spécialistes des sciences sociales. Il s'agit plutôt d'une technique mathématique dépourvue d'hypothèse servant à décrire objectivement et à analyser un système ou un réseau en portant sur un graphique la catégorie, le nombre et la valeur des interconnections existant entre chaque paire de points. Ce réseau peut être aussi bien un circuit électrique que des aires d'activité dans le cas d'un établissement humain. Le grand pouvoir de la théorie des graphes réside dans la conversion de simples observations en matrices mathématiques, chaque position ligne/colonne représentant la relation entre deux aires par rapport à une variable. Par exemple, un graphique pourrait représenter la quantité de céramique transportée d'un lieu de fabrication à ses lieux d'utilisation. Dans un autre cas il serait possible de retenir un indice permettant de corréler le mouvement des objets en fonction de la dimension des sites, ou un autre qui indiquerait un certain contrôle administratif. Une fois mis sous forme matricielle, ces graphes peuvent être manipulés selon un ensemble de techniques mathématiques plus ou moins sophistiquées, ouvertes à toutes possibilités, même non théoriques. Des matrices graphiques individuelles peuvent aussi s'ajouter les unes aux autres de façon à en former de nouvelles. Ainsi, les divers facteurs proposés pour rendre compte d'un type particulier d'établissement peuvent être soit examinés séparément, soit combinés pour former une matrice multi-variée servant à décrire le système d'établissement et permettant des comparaisons avec d'autres systèmes. A l'inverse, si une hypothèse existe telle que le rôle de l'économie dans le processus de centralisation économique, une matrice théorique pourrait être élaborée. En comparant cette matrice à une autre établie à partir de données réelles, l'hypothèse pourrait alors être examinée de façon tout à fait valable. Afin de démontrer l'utilité de la théorie des graphes pour les archéologues, nous avons choisi de retenir un des cas les plus intéressants du Proche-Orient ancien — les plaines de Susiane à la période d'Uruk, c'est-à-dire au IVe millénaire avant notre ère. Celui-ci a été porté sur graphe. Dans un article publié en 1975, Wright et Johnson, les auteurs de la prospection, avaient émis l'hypothèse que les schemes de répartition des variétés orientales et occidentales de céramiques à décor incisé, croisillonné et à anses larges permettait de montrer que le développement de l'administration avait pu être catalysé par le contrôle de la production artisanale de la céramique : ce contrôle se traduisant archéologiquement par les zones de répartition de la poterie produite massivement. Une analyse effectuée à l'aide de graphes n'a pas permis de vérifier la proposition; en fait Johnson et Wright avaient déjà abandonné celle-ci. Cependant, à partir du travail théorique de Wright et Johnson sur la formation de l'Etat et à partir des idées de Murra sur le rôle joué par la main-d'œuvre agricole, en particulier dans les premières sociétés étatiques, de nouvelles hypothèses ont pu être émises. Ainsi plus spécifiquement on a traduit sur un graphe la répartition des écuelles grossières qui, pour certains, représenteraient des rations officielles dans le cadre de travaux mis en œuvre par l'Etat. Le réseau indiqué par la répartition des écuelles grossières corrélées aux autres types de poterie paraît dépasser les limites administratives telles que Johnson les a établies, c'est-à-dire, à 20 km des centres. Parmi les établissements situés à l'extérieur de cette zone, apparaissent ceux qui sont localisés sur des systèmes d'irrigation postérieurs tant élamites que sassanides, en particulier à des points de jonction importants. Cette observation permet de conclure à un certain rôle de l'Etat dans la maintenance des canaux et même aussi dans la production agricole à l'époque de formation des premiers Etats. Cet exemple permet de conclure que la théorie des graphes peut être adaptée au travail analytique effectué par des archéologues.

This publication has 1 reference indexed in Scilit: