Abstract
L'étude des questions et des théories monétaires en U.R.S.S. fait apparaître une grande ambiguïté. D'une part, le programme du parti communiste réclame l'utilisation à plein des catégories monétaires-marchandes et la mise en œuvre d'instruments économiques tels que le calcul économique, la monnaie, les prix, le prix de revient, les bénéfices, le commerce, le crédit. D'autre part, l'étude des faits révèle que ces catégories n'ont joué qu'un rôle mineur « indirect » dans l'histoire économique soviétique. D'où vient cette contradiction ? Elle découle essentiellement du conflit subtil et fluctuant qui s'est instauré entre la théorie, la pratique et les choix politiques. Sur le plan théorique, Marx a condamné «l'argent» qui, dit-il, introduit un écran entre les hommes solidaires par la division du travail, mais séparés par la propriété. Pour lui et ses disciples, l'instauration d'une ère nouvelle débouchait ainsi sur la suppression de la monnaie et l'échange direct des produits. C'est cette thèse qu'ont reprise Boukharine et Preobrajensky dans « l'A B C du Communisme», rédigé entre mars et octobre 1919, en pleine guerre civile. Dans cet ouvrage, ils annoncent l'organisation d'un mode de production communiste qui doit instaurer la répartition directe des produits et exclure l'usage de la monnaie. Mais les difficultés aussi bien politiques qu'économiques réclament une pause. Boukharine et Preobrajensky sont partisans, au côté de Lénine, du tournant de la N.E.P. Les circuits monétaires et financiers sont restaurés et assainis. La situation économique s'améliore considérablement et dès 1925, l'U.R.S.S. va s'engager progressivement dans la voie de la planification et de l'industrialisation. Preobrajensky publie alors deux ouvrages consacrés à la phase de transition : l'un, « la Nouvelle Economique » dans lequel il analyse les lois du développement pendant cette période, et l'autre, « de la N.E.P. au Socialisme » dans lequel il étudie la monnaie qui continue à jouer un rôle, limité toutefois à celui d'instrument auxiliaire de la répartition planifiée. Mais, vers les années 30, la poursuite de l'industrialisation à un rythme rapide et la brutalité de la collectivisation provoquent, de nouveau, une véritable désorganisation sur le plan monétaire qui va donner un regain d'intérêt aux théories sur la disparition de la monnaie ; le centre de la question s'est cependant déplacé, il ne s'agit plus de savoir quand va se produire cette disparition, mais comment. Une fois encore, les désordres engendrés par la réforme du crédit de 1930, destinée dans l'esprit de ces auteurs à hâter la disparition de la monnaie, la désorganisation des circuits monétaires, suscitent des réactions en sens inverse. Des mesures sont prises en 1931 pour remettre de l'ordre. Le Commissaire aux Finances Grmko en 1932 et Staline en 1934 prennent position sans équivoque : la monnaie est nécessaire et l'échange direct viendra certes, mais n'est pas pour demain. Toutefois, le système monétaire est « adapté et utilisé dans l'intérêt du socialisme », la monnaie étant un instrument de comptabilité de la production et de contrôle de l'exécution du plan. On s'aperçoit tout de même assez vite que cette monnaie « adaptée et utilisée dans l'intérêt du socialisme » ne constitue pas à elle seule un instrument efficace pour guider les planificateurs perdus dans la jungle du volontarisme. Dès 1940, s'amorce le grand débat sur la valeur qui va se poursuivre pendant de longues années. Dans un premier temps, les recherches vont être uniquement centrées sur l'existence et la portée de la loi de la valeur et vont se dérouler en plusieurs étapes. Elles sont d'abord marquées par la publication en 1952 des « Problèmes économiques du Socialisme » dans lesquels Staline affirme que la production marchande et la loi de la valeur existent en économie socialiste, mais que la production est d'un genre spécial et que les biens de production ne sont pas des marchandises. Le Congrès des économistes de 1957 peut être considéré comme la deuxième étape importante : les thèses du passé sont rejetées et pour tous les économistes, la loi de la valeur joue et s'étend à tous les biens qu'il s'agisse de biens de consommation ou de biens de production. Mais, à ce stade, s'opère un clivage. Si, pour la plupart, la production est marchande bien qu'elle soit d'un genre spécial et se déroule donc dans le cadre d'un plan centralisé, pour d'autres, les relations marchandes n'ont pas leur place en régime socialiste. Dans un deuxième temps, à partir des années 60, le problème se déplace : il ne s'agit plus de savoir si la loi de la valeur joue, mais comment elle doit jouer et peut se manifester, dans un système planifié centralement au moyen des méthodes électro-mathématiques, ou dans un système de marché socialiste ? Si, avec la réforme de 1965, les tenants du...

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