Abstract
Les philosophes naturels du XVIIe siècle accordent une importance croissante aux faits nouveaux et singuliers construits par des démonstrations spectaculaires réalisées devant témoins. Cet essai tente de montrer comment cette évolution s’opère comme une synthèse de deux courants auparavant disjoints, d’un côté la pratique coopérative et informelle, critique sans être véhémente, de savants dont Mersenne constitue un bon exemple dans les années 1630, et de l’autre celle des alchimistes, remettant radicalement en cause les savoirs traditionnels tout en restant viscéralement attachés au secret. On montrera comment le cercle parisien qui se réunit autour du même Mersenne au milieu du siècle pour débattre des expériences du vide réalise cette synthèse particulière. Mais dans une communauté érudite intéressée surtout à employer les faits expérimentaux comme matériau nouveau dans les disputes philosophiques, et pour laquelle la correspondance privée constitue la principale source d’information sous la forme de narrations circonstanciées par des témoins des événements singuliers survenus au cours de démonstrations expérimentales, le récit à la première personne apparaît comme une ressource superflue lorsqu’il s’agit de passer au format imprimé; Pascal, par exemple, recourt dans ses traités à une description des expériences se déployant sur un registre hypothétique et syllogistique qui exclut la narration directe. Le succès ultérieur des techniques matérielles et littéraires administrant la preuve en donnant à voir le protocole expérimental peut alors être mieux compris si l’on considère la parenté que celles-ci entretiennent avec les pratiques de la lecture publique traditionnelles dans les cercles érudits, proximité qui leur permet d’enrichir la signification et d’accroître la force de persuasion de l’expérience artificielle aux yeux des mêmes audiences.