Abstract
Le propos de cet article est d'examiner la généalogie des enquêtes de mobilité sociale, en s'intéressant principalement aux enquêtes réalisées en France durant les années 1950-1970. Cette période est particulièrement riche de transformations des outils statistiques et des questions auxquelles ils sont appelés à répondre. Ainsi les voit-on successivement et parfois simultanément utilisés dans des perspectives très diverses. Les travaux effectués ou publiés par l'INED dans les années 50-60 s'intéressent aux « causes bio-héréditaires », aux « phénotypes », à l'« ascension des bien-doués », catégories qui invitent à remonter vers des ancêtres plus lointains, vers les travaux de Galton sur l'hérédité du talent et sur « la valeur sociale » eugénique. Dans une perspective tout autre, les enquêtes réalisées à l'INSEE dans les années 60-70 doivent servir à évaluer la « qualification professionnelle et la mobilité professionnelle de la population active ». Ces investigations trouvent leur place dans un dispositif étatique de planification des politiques de l'éducation et de l'emploi et écartent, comme « accessoire », l'étude de la mobilité. Les mêmes enquêtes ont un statut tout différent pour les sociologues qui les considèrent comme des sources exceptionnelles (comparées à l'étranger) sur la mobilité sociale, notamment en raison de la taille d'échantillons conçus pour produire des statistiques d'État. Dans une perspective à nouveau toute différente, et critique à l'égard des précédentes, elles sont utilisées pour étudier la reproduction sociale, l'hérédité sociale, les classes sociales ou l'inégalité des chances.